La presse parle de “Tanna”

LE TEMPS, par Norbert Creutz (21/12/2016)

«Tanna», l’île des amants sacrifiés

Candidat surprise aux Oscars, «Tanna» est le premier film des îles Vanuatu. Une belle fiction élémentaire, comme venue d’un autre temps

Les films océaniens ne sont pas légion sur nos écrans – raison déjà suffisante de s’intéresser à «Tanna», production australienne tournée dans l’archipel mélanésien de Vanuatu. Hasard de la distribution, ce film constitue également la pièce centrale d’une sorte de trilogie lancée par l’aimable «Vaiana (Moana)» de chez Disney et qui va se clore avec «Mercenaire» de Sacha Wolff, film français au protagoniste Néo-Calédonien. Enjeu principal de l’affaire: notre perception des îles du Pacifique, entre imaginaire, ethnographie et mondialisation.

Réalisé par un tandem de documentaristes australiens, Bentley Dean et Martin Butler, dix ans après la découverte par le premier de l’île de Tanna lors d’un reportage, le film réitère en fait le geste fondateur de Flaherty et Murnau («Tabu», 1931): à partir d’histoires glanées sur place, tourner une fiction interprétée par les natifs eux-mêmes.

Inspirés par le récit tragique d’amoureux dont une jeune femme avait été promise à une tribu rivale, ils ont ainsi réalisé une sorte de «Roméo et Juliette» du Pacifique. Observés par une fillette, Dain et Wawa brisent un mariage arrangé pour des raisons politiques, selon les coutumes ancestrales, se retrouvant bientôt traqués par les guerriers des deux tribus. Pourront-ils trouver refuge à la mission chrétienne ou alors de l’autre côté du volcan Yahul?

Tradition ou liberté d’aimer

Le jeu des comédiens d’occasion est tout sauf transcendant, mais même en l’absence d’un effet d’identification opérant, l’empathie l’emporte grâce au thème universel. Et surtout, le film devient fort beau, grâce à un regard qui échappe au documentaire pour se faire à l’occasion lyrique. S’inspirant du fameux «Ten Canoes» que Rolf De Heer réalisa avec des aborigènes australiens en 2006, Dean et Butler sont restés au plus près des us et coutumes de la tribu approchée. Mais ils savent aussi utiliser le cadre naturel – forêt tropicale, ligne côtière et volcan toujours actif – pour donner une résonance plus ample à leur petite histoire.

La photo aux coloris verts-violets (comme dans «The Orator», 2011, film de Samoa également distribué par Trigon-Film) est superbe, la musique discrète est parfaitement adaptée. On a beau confondre quelques personnages secondaires et perdre la narratrice en cours de route, c’est prenant, sans oublier quelques surprises (telles que des références au Capitaine Cook ou au Prince consort Philip d’Angleterre). Et lorsqu’un carton nous apprend que cette histoire du milieu des années 1980 fit évoluer la loi ancestrale, c’est toute l’évolution des moeurs dans le monde actuel qui se rappelle à nous.

Bref, loin de l’exotisme facile et de la condescendance qu’ont voulu y voir certains, «Tanna» pose bien les questions du relatif (la culture) et de l’universel (l’humain), sans oublier de faire vibrer nos cordes sensibles. De quoi justifier le joli parcours d’un film lancé à la Mostra de Venise 2015 (Semaine de la critique) pour finir candidat sérieux à l’Oscar du meilleur film étranger 2017.

** Tanna, de Bentley Dean et Martin Butler (Australie 2015), avec Mungau Dain, Marie Wawa, Marceline Rofit, Chief Charlie Kahla, Albi Nangia, Lingai Kowia, Dadwa Mungau, Linette Yowayin, Chief Mikum Tainakou. 1h44

 

20 MINUTES, par Catherine Magnin (21/12/2016)

En Mélanésie aussi, s’aimer peut être dramatique

par Catherine Magnin – Candidat à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère pour le compte de l’Australie, «Tanna» est une véritable perle.

Attention, Courgette (du nom du héros du film d’animation suisse de Claude Barras, au cas où vous atterririez de Mars)! Voici ton concurrent le plus sérieux dans la course à l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère. «Tanna», qu’il s’appelle. Du nom d’une île de l’archipel de Vanuatu, où vivent encore des tribus traditionnelles, en harmonie avec la nature, avec des lois et coutumes bien définies. Certaines préconisent aux villageois de ne pas s’aventurer dans certains coins de forêt pour ne pas irriter une tribu ennemie.

D’autres exigent que les filles soient mariées dans l’intérêt général de la communauté, au détriment de leur intérêt personnel. C’est ainsi que Wawa est promise au fils du chef d’une tribu rivale, pour sceller la paix. Mais Wawa en aime un autre, Dain. Et tous deux décident de s’enfuir. Le drame est assuré. Fera-t-il bouger les mentalités?

Inspiré d’un fait divers qui s’est déroulé dans l’île il y a une trentaine d’années, «Tanna» est une superbe variation sur le thème des amours contrariées à la Roméo et Juliette. Avec pour particularité que les rôles sont tenus par des comédiens amateurs criants de vérité et de sensibilité, filmés avec une grâce toute particulière. Le tout dans un décor naturel qui fait rêver d’ailleurs…